Le phénomène du racket sur les routes est un problème persistant. Souvent, des conducteurs locaux ou étrangers, se retrouvent confrontés à des agents de sécurité qui leur demandent des « frais » non justifiés lors des contrôles routiers. Ces actes de corruption, bien que dénoncés de façon récurrente, continuent. Dans ce reportage, TogoTopNews aborde ce fléau, ses causes et surtout ses impacts profonds et multidimensionnels sur le développement économique et social, de même que des pistes de solutions pour y pallier.
Le racket, en effet, est considéré comme un crime organisé où les auteurs mettent en place un système ou une opération coordonnée coercitive, frauduleuse ou autrement illégale pour collecter un profit de manière répétée ou constante.
Au Togo, les conducteurs de véhicules de transport de marchandises, de passagers, de voitures privées et de motos sont souvent rackettés lors des contrôles de la Division de la Sécurité Routière (DSR), aux différents check-points et feux tricolores.
Samedi 16 octobre 2024, il est 9h, nous sommes allés dans la zone portuaire où stationnent des chauffeurs et conducteurs d’engins, pour les interroger sur la question. Certains ont bien voulu accepter témoigner. « Nous sommes rackettés tous les jours sur nos routes si bien que, c’est devenu banal », affirme en substance, Serges, un conducteur de taxi. Pour sa part, Komi, un gros porteur, raconte son calvaire quotidien : « je transporte souvent des marchandises. Je fais Lomé – Burkina Faso et Lomé –Niger. Malgré que je sois toujours en règle chaque jour, je paie des frais injustifiés. De Lomé à Cinkassé, nous avons les agents de la DSR au niveau de chaque région. Dès que tu arrives à leur niveau, tu dois payer 1000 F ou 2000 F. Pour la douane, à chaque poste, nous payons 500 F. Quand tu refuses, ils gardent tes papiers jusqu’à ce que tu ne paies. Lorsque la saison des tomates arrive et que l’on en transporte, c’est 5000 F qu’on paie aux agents de la DSR. Quand tu leur montres tes pièces à jour, ils te diront ouvertement qu’ils ne mangent pas les pièces. Dès qu’ils demandent les pièces, il faut savoir que, c’est de l’argent qu’ils demandent », nous confie-t-il.
Ces témoignages, ne sont que quelques-uns parmi tant d’autres. Les causes de ces actes sont profondes. Selon Akomola Atikpati, Président du Conseil d’Administration du Réseau Anti-Corruption (RAC-Togo), la persistance du phénomène résulte de la non connaissance des lois par les conducteurs, la mauvaise foi de certaines forces de l’ordre et l’insuffisance des salaires des agents. Il pointe aussi du doigt l’incivisme de certains usagers de route : « certains ne sont jamais à jour. Ils se permettent également de faire la surcharge et quand ils sont en face des agents, ils leur glissent un 1000 F ou 500 F. Aussi, le salaire de ces agents chargés de notre sécurité en général, est-il insuffisant. Quand tu les vois souvent dans la nuit profonde, sous l’effet du froid, ce qu’ils te demandent, c’est « patron, du café ». Donc parfois, c’est par humanité qu’on leur glisse quelque chose », estime le Président du RAC-Togo.
Dans une récente sortie médiatique, le Directeur de la Division de la Sécurité Routière, le Commissaire principal, Kossi Ahloko Sodji évoque des responsabilités partagées. Selon lui, cette « surconscience professionnelle » de certains agents jette le discrédit sur toute une institution. « Ces rackets entrent dans ce que nous appelons des perceptions illicites et contreviennent à l’éthique et à la déontologie de notre profession. Il est constaté que cette pratique est encouragée et entretenue par certains conducteurs. Les agents déployés sur les routes sont des fonctionnaires de l’État et sont payés chaque fin de mois. Dans ces conditions, on ne devrait rien leur donner sur les routes. Les conducteurs doivent aussi prendre leurs responsabilités », a-t-il exhorté.
Les impacts des rackets sur le développement économique et social
Le phénomène des rackets sur les routes a des impacts profonds et multidimensionnels sur le développement économique et social. Ce phénomène qui contraint les chauffeurs et transporteurs à payer des sommes supplémentaires, fait augmenter les coûts de transport des marchandises et des personnes. Sur le plan économique, ces surcoûts se répercutent sur les prix des biens de consommation, comme l’atteste ces propos de Adjowa, une commerçante, rencontrée au marché d’Adawlato : « nous achetons des oignons du Niger que nous convoyons vers le Togo. Lorsque nos chauffeurs quittent le Niger, nous leur remettons des sacs d’oignons à distribuer aux douaniers sur le sol togolais pour qu’ils puissent les laisser passer tranquillement et c’est une grosse perte pour nous. Les conducteurs augmentent aussi le prix du transport car ils paient à chaque poste de contrôle. Par conséquent, nous revendons les marchandises chères aux consommateurs ».
Allant dans le même sens, le Président du Conseil d’Administration du Réseau Anti-Corruption renchérit que ces actes ont de réels impacts sur le développement. Selon lui, ils engendrent des pertes financières et le ralentissement des affaires pour les acteurs économiques ; la baisse de la compétitivité des produits togolais sur les marchés régionaux et internationaux ; le découragement des investissements dans le secteur du transport et du commerce. « La corruption sur nos voies sape notre économie, met en danger notre éducation, notre sécurité et ne met pas en confiance les étrangers. Que ce soit, celui qui est corrompu ou celui qu’on a corrompu, personne n’est en sécurité car ce phénomène impacte tout le monde y compris l’enfant qui n’est pas encore né », a ajouté Akomola Atikpati.
Il poursuit que les rackets sont, à l’origine de certains accidents de circulation et contribuent à l’extrémisme violent : « lorsque les forces de sécurité sont sur les routes, c’est pour vérifier l’identité de ceux qui passent, vérifier si les documents sont à jour, voir ce que transportent les conducteurs… Quand le chauffeur glisse quelque chose à l’agent, celui-ci ne pourra plus faire véritablement son travail qui est de contrôler. Donc, on peut transporter facilement des produits illicites. En conséquence, on a une jeunesse délinquante, accro aux produits illicites et qui peut librement se laisser aller pour une quelconque proposition de déstabilisation de son propre pays », a-t-il souligné, avant d’énumérer d’autres conséquences sociales des rackets telles que la perte de confiance des citoyens dans les institutions et les forces de l’ordre, le risque de violence et de tensions entre les forces de sécurité et les usagers, le sentiment d’injustice sociale accru.
Il faut également souligner que ces actes perturbent les chaînes d’approvisionnement, en ce sens que les retards ou interruptions causés par ces pratiques affectent parfois la livraison des produits, notamment les denrées périssables. Le racket sur les routes entrave en outre, la libre circulation des personnes et des biens, ce qui constitue un frein au développement d’un pays.
Au Togo, il y a des garde-fous
Pour dénoncer toutes formes de corruption y compris les rackets, le gouvernement a mis en place depuis août 2019, un numéro d’appel d’urgence, le 1014 qui vient s’ajouter au 8227 mis en place par la Haute Autorité de Prévention et de Lutte Contre les Infractions Assimilées.
Le commissaire principal, Kossi Ahloko Sodji encourage donc les usagers de la route à ne pas hésiter à dénoncer ces cas de perceptions illicites d’argents sur les routes, en saisissant les institutions compétentes à savoir l’Inspection générale de la sécurité nationale, la Direction de la Sécurité Routière ou en contactant le numéro vert 1014, disponible 24H/24.
Par ailleurs, le nouveau patron de la police nationale, le Commissaire Divisionnaire Akatao BABARIME, après sa prise de fonction, a, le 14 novembre dernier, au cours d’une tournée à l’École Nationale des Sous-officiers et Agents de Police (ENSOAP) à Logopé puis à l’École Supérieure des Forces de Sécurité (ESFOS) à Davié, exhorté les stagiaires à faire de la lutte contre les rackets, leur « combat ».
Faut-il le souligner, le Togo, en matière de lutte contre la corruption, dispose également des textes et lois.
Les organisations de la société civile jouent aussi leur partition à travers diverses actions notamment la dénonciation, la sensibilisation, la réalisation d’enquêtes mais ces actes ont la peau dure.
Il faut des actions fermes et une transparence renforcée
Pour que ces efforts entrepris aient un impact durable, des actions fermes et une transparence renforcée sont nécessaires afin de décourager les comportements illégaux.
Pour le président du RAC-Togo, le gouvernement doit mettre en place un contrôle strict et punir les auteurs de ces actes. Selon lui, chacun doit mettre la main à la pâte car c’est ensemble que cette lutte sera gagnée.
Pour sa part, Elom, un chauffeur suggère que les campagnes de sensibilisation soient renforcées afin d’informer les populations sur leurs droits et encourager des actions collectives contre les rackets. Il invite également les gouvernants à moderniser les routes pour faciliter les contrôles et décourager ces actes.
Les rackets sur les routes ralentissent le développement. Pour y remédier, il faut des efforts concertés entre gouvernements, populations et agents de sécurité.
Rachel DOUBIDJI