L’accès à la contraception est reconnu comme un droit fondamental de la personne. Cependant, nombreux sont les obstacles qui persistent et entravent l’accès des jeunes à la contraception, malgré l’existence des textes et lois en la matière. Dans ce reportage, Togotopnews dresse un tableau de la situation et aborde des pistes de solutions, en interrogeant les jeunes eux-mêmes, les prestataires et spécialistes de la question.
La contraception se définit de façon simple comme un moyen visant à empêcher une grossesse non désirée, selon l’OMS. « Il existe plusieurs méthodes contraceptives notamment le préservatif, les injectables, les implants, les contraceptifs hormonaux, etc. Il y en a à courte durée et à longue durée. Le choix de la méthode dépend de chaque personne, en fonction de ses caractéristiques, son organisme et ses antécédents », explique Dr. Hodalo Prisca Talboussouma, médecin généraliste, responsable du centre de santé d’Amoutivé à Lomé, la capitale togolaise.
L’accès à ces différentes méthodes par les jeunes n’est souvent pas chose aisée. Emilie est âgée de 16 ans. L’élève en classe de seconde entretient une relation amoureuse avec Serge, son camarade de classe. Dans sa famille, la sexualité est un sujet tabou et il est hors de question d’avoir un partenaire sexuel, tant qu’on est sur le banc d’école. Émilie devra donc vivre sa relation en cachette et tout faire pour ne pas tomber enceinte. La jeune fille décidera alors de se rendre « en catimini » dans un centre de santé public de la ville pour avoir des informations sur les méthodes contraceptives et en adopter. Sauf que l’empathie espérée ne sera pas au rendez-vous. Elle raconte sa mésaventure. « Après un cours du soir terminé tôt, je me suis rendue en tenue scolaire au centre de santé publique le plus proche. La sage-femme qui devrait me recevoir, me regarde et me dit : on vous demande d’étudier et vous, vous êtes préoccupées par le sexe » relate -t-elle. « Très gênée » par ces propos, Emilie a dû rebrousser chemin et n’a jamais eu le courage de faire encore la même démarche.
Émilie n’est pas la seule à être victime d’un mauvais comportement de la part d’un prestataire, en voulant avoir des informations sur la contraception. Âgée de 17 ans, Amivi, apprentie couturière, de son côté, affirme avoir été « ignorée » et « verbalisée » par un agent de l’Unité de soins périphérique (USP) de sa localité. Selon les dires de la jeune fille, elle a été accablée de questions mais ses préoccupations sont reléguées au second plan.
Plusieurs jeunes interrogés dans les rues de Lomé, sur les obstacles liés à l’accès aux méthodes contraceptives, pointent du doigt le mauvais accueil dans les centres de santé et service de planification familiale. Par ailleurs, certains relèvent le manque d’information, la peur du regard des proches et autres personnes plus âgées. C’est l’exemple de Gabin, élève qui dit : « Ce qui m’intrigue est que quand par exemple tu vas à la pharmacie pour acheter du préservatif, les gens te regardent comme si tu as commis un crime. Cela nous dissuade car on a parfois honte ».
Pour d’autres jeunes, c’est plutôt les moyens financiers qui constituent le handicap. « Quand tu es apprentie coiffeuse comme moi et que c’est toi même qui dois te prendre en charge, c’est compliqué de payer régulièrement les pilules ou implants », dit Ahoéfa qui recommande que l’État rende gratuite la contraception pour soulager les populations en particulier les jeunes et les femmes.
Pour avoir une idée sur les prix, nous sommes allés à l’hôpital public de Bè (centre de santé à Lomé). Il ressort que, le Depo-provera avec les examens, les consommables (carnets, gangs…) coûte 1000 FCFA au premier contact. Le réapprovisionnement des injectables est à 500FCFA et c’est tous les trois mois. Pour les méthodes de longue durée comme le Jadel et Implanon, elles sont à 3100 FCFA, tout consommable y compris. Le Dispositif Intra Utérin DIU est à 1200FCFA et les pilules à 100FCFA la plaquette. En ce qui concerne les préservatifs, ils coûtent minimum 250 FCFA et le prix varie selon la qualité.
Des rumeurs et effets secondaires, l’autre barrière
L’idée reçue autour des méthodes contraceptives est encore très présente dans les populations. L’une d’elles est la croyance relative aux effets sur la fertilité, notamment le risque de stérilité. « À la maison, notre tante nous a toujours dit de ne jamais hasarder à prendre ces pilules. Cela rend stérile, nous dit-elle à chaque fois. Elle nous donne même l’exemple d’une voisine qui a fait cela et aujourd’hui, n’a pas d’enfants », livre Delphine, une élève de Terminale.
Considérés comme des produits chimiques, bon nombre d’effets secondaires sont reprochés à ces contraceptifs. Réagissant par rapport à la question, Dr. Hodalo Prisca Talboussouma, indique qu’il y a beaucoup de sous-entendus concernant les effets secondaires des méthodes contraceptives. « Quand les femmes viennent au centre, il y a un tas de questions qu’on leur pose pour pouvoir identifier la méthode qui leur convient. Parfois sur la base des réponses reçues, si on leur propose une méthode, elles refusent et veulent forcément utiliser la méthode que leur copine utilise. Après, elles se plaignent des effets secondaires. Et cela se partage de bouche à oreille, c’est ce qui complique encore les choses », explique la spécialiste. Et de poursuivre: « Normalement, quand vous venez au service de planification familiale et que vous donnez toutes les informations nécessaires, on vous propose une contraception qui vous sied. Ce qui est sûr, dans les premiers temps, après la pose ou l’utilisation de la méthode contraceptive, il peut y avoir quelques effets et c’est normal. Quand un corps étranger rentre dans un organisme, il y a toujours réaction, ou bien quand un étranger rentre dans une maison, les gens réagissent toujours. Et c’est pareil, il peut y avoir des réactions pendant un temps donné puis ça s’arrête et l’organisme s’adapte. Mais il faudrait revenir toujours au niveau de l’agent de santé pour le signaler. », a-t-elle conseillé.
Les hommes font la loi
Le Togo est un pays caractérisé par les mœurs patriarcales. Chez les jeunes, dans les relations amoureuses, souvent, ce sont les jeunes garçons qui décident. Au cours d’une activité de sensibilisation de proximité sur la Santé de Reproduction et Planification Familiale (SR/PF), organisée par les jeunes champions du projet AmplifyPF financé par l’USAID, dans la commune Golfe 6 (Banlieue Est de Lomé), le constat a été clairement établi. Sur plus d’une centaine de jeunes extrascolaires mobilisés pour l’occasion, seulement 7 filles ont accepté opter pour une méthode sur le champ. « Plus d’une cinquantaine de filles souhaitaient adopter une méthode mais veulent d’abord avoir l’approbation de leur tuteur, partenaire ou encore de leur petit ami », rapporte Mme Améyo Tonyike, sage-femme et Responsable de la santé sexuelle et reproductive des adolescents et jeunes dans le District sanitaire Golfe à Lomé.
En outre, dans les milieux ruraux où le mariage précoce fait des ravages, les filles mariées trop jeunes subissent la « dictature » des conjoints et n’ont pas le droit de décider, en ce qui concerne la gestion de leur sexualité. Pis, dans ces milieux beaucoup n’ont même pas accès à l’information.
Et pourtant des textes et engagements existent
De nombreux textes existent au plan national ainsi que des engagements pris par le Togo garantissant l’accès des jeunes aux services de Santé de Reproduction et Planification Familial (SR/PF).
La loi n° 2007-005 du 10 janvier 2007 sur la santé de la reproduction en son article 7 énonce qu’: « en matière de santé de la reproduction, tous les individus sont égaux en droit et en dignité sans discrimination aucune fondée sur l’âge, le sexe… ». L’article 8 de la même loi stipule que : « …nul ne peut être privé de son droit à la santé sexuelle et à la santé de la reproduction ».
Par ailleurs, parmi les 6 nouveaux engagements de planification familiale pris par le Togo à l’horizon 2030, le 3ème vise à « garantir l’accès des adolescents et jeunes à des informations complètes et services de qualité adaptée à leur âge et à leur besoin ».
Selon Mme Améyo Tonyike, sage-femme et Responsable de la santé sexuelle et reproductive des adolescents et jeunes, « dès qu’une fille fait ses menstruations, elle est susceptible de tomber enceinte, donc, est apte à adopter une méthode contraceptive ». Les jeunes et adolescents, d’après la sage-femme, « ont les mêmes besoins que les personnes âgées » en matière de la santé de reproduction.
« Nous ne devons pas être un obstacle pour eux. Si on leur dit des choses qui les frustrent, dès qu’ils s’en vont, ils ne reviendront plus et vont chercher eux-mêmes des informations qui ne sont pas forcément correctes », fait-elle observer.
En effet, selon Mme Améyo Tonyike, les difficultés d’accès aux services de planification familiale et de la santé de reproduction des jeunes contribuent à l’augmentation de certains fléaux de sociétés observés comme les grossesses non planifiées et précoces, les naissances rapprochées chez les jeunes couples, les avortements clandestins avec ses conséquences désastreuses qui peuvent aboutir à la mort, les abandons scolaires etc.
Il faut relever qu’ au Togo, chaque année, des centaines de filles abandonnent les bancs de l’école pour des raisons de grossesses. Aussi ,selon M. Simtokina N’GANI, responsable planification familiale au ministère de la santé, « durant les 5 dernières années, chaque année, les avortements provoqués qui suivent les grossesses en milieu scolaire, tournent autour de 1000 et 1500 ».
Le recours aux méthodes contraceptives par les jeunes permet donc d’éviter les fléaux précités. Pour Dr. Prisca Talboussouma, cela aide également les jeunes à poursuivre leurs études, apprentissage ou activités et à réaliser leur projet de vie.
Agir pour renverser la tendance
Pour Germain Bado, activiste Santé de Reproduction et Planification Familiale (SR/PF), « il existe aujourd’hui au Togo, certaines initiatives qui visent à rendre accessible les informations sur la contraception aux adolescents et jeunes comme l’application InfoAdojeune et le elearningatbef.org, mis en ligne par l’Association togolaise pour le bien-être familial (ATBEF) et qui a inspiré d’autres structures de la sous-région, membre de la Fédération internationale pour la planification familiale (IPPF) notamment l’ABBEF du Bénin et la CAMNAFAW du Cameroun ». Ces genres d’initiatives louables, selon lui, doivent être multipliés afin de permettre aux jeunes d’avoir de bonnes informations qui vont redonner confiance à cette couche, à qui on cimente des informations erronées et rumeurs dès le bas âge.
Pour sa part, Hayathe Ayéva, présidente nationale du Mouvement d’action des jeunes (MAJ) et point focal FP2030, insiste qu’il faut donner les vraies informations aux jeunes, former les prestataires de santé sur l’offre de service convivial en santé sexuelle et reproductive et créer des services de proximité.
De son côté, Laurence Degbe, activiste SR/PF, pense qu’« améliorer l’accueil dans les centres de santé sera la panacée ».
Au demeurant, il faut relever que le Togo est un pays membre du partenariat de Ouagadougou qui a pour objectif principal de doubler le nombre d’utilisatrices de la contraception moderne pour atteindre 13 millions d’ici 2030. Dans ses nouveaux engagements PF pris pour l’horizon 2030, le pays ambitionne augmenter le taux de prévalence contraceptive chez toutes les femmes de 20,4% en 2020 à 29,5% en 2026 ; et ceci face aux besoins non satisfaits qui sont de 34%. Pour y parvenir, les jeunes ont un rôle important à jouer d’autant puisqu’ils représentent une part importante de la population (60% âgés de moins de 25 ans selon le 5ème Recensement général de la population et de l’habitat). De fait, le développement du pays est étroitement lié au bien-être de cette couche qui doit passer obligatoirement, entre autres, par une bonne maîtrise de leur évolution à travers l’accès aux informations et services liés à la santé de reproduction et la planification familiale.
Atha ASSAN