Dans un rapport interactif rendu public ce 6 avril 2022, signé des spécialistes de 15 pays, l’Alliance mondiale pour l’avenir de l’alimentation présente des données sur la manière dont l’agroécologie, les approches régénératives et les pratiques alimentaires autochtones permettent de transformer les systèmes alimentaires en Afrique et dans le monde entier. Ces experts remettent en question le maintien du statu quo dans la recherche, la politique et les prises de décision sur la gestion des systèmes alimentaires.
Le rapport, intitulé ‘’La politique de la connaissance : comprendre les données probantes en faveur de l’agroécologie, des approches régénératives et des pratiques alimentaires autochtones’’, soutient que les connaissances traditionnelles et contemporaines doivent éclairer les décisions concernant l’avenir de l’alimentation. Les auteurs et autrices du texte appellent à une recherche et à une action centrée sur les connaissances des peuples autochtones, des agriculteurs et des communautés, ainsi que sur les diverses preuves produites par ces groupes, qui soient transdisciplinaires et reconnaissent l’interconnexion entre les systèmes alimentaires, la santé humaine et la planète.
En effet, le rapport propose des alternatives à l’agriculture industrielle, qui sont nécessaires de toute urgence. Le système alimentaire industrialisé, selon Lauren Baker, directrice des programmes de l’Alliance mondiale, sur le rendement, l’extensibilité, la viabilité et des questions générales sur l’avenir de l’alimentation, est l’un des « principaux facteurs de stress de la planète » et « contribue à près d’un quart des émissions mondiales de gaz à effet de serre ». « Cela est lié, bien sûr, aux effets du changement climatique que nous voyons se manifester en Afrique de l’Est et dans le monde entier, qu’il s’agisse de la sécheresse en Somalie, des essaims de criquets ou de l’évolution des régimes climatiques. Ces conséquences et les inégalités structurelles du système alimentaire aggravent l’impact sur les communautés vulnérables », a-t-elle indiqué.
Lever le mythe
Le rapport met l’accent sur deux choses fondamentales. La première est le mythe selon lequel l’agroécologie n’est efficace qu’à petite échelle et incapable de répondre à la demande mondiale de nourriture alors qu’une abondance d’exemples, y compris en Afrique, prouve le contraire. « Par exemple, ENDA Pronat, dans le nord du Sénégal, a utilisé des pratiques agroécologiques pour assurer la transition de plus de 24 000 hectares de terres arables, ce qui a permis une production agricole plus diversifiée pour les marchés locaux et régionaux. Ces résultats positifs ont permis au Sénégal de faire de l’agroécologie l’une des cinq initiatives majeures de son Plan Sénégal Emergent, le cadre politique le plus élevé de la nation ouest-africaine », illustre le texte.
En dehors du Sénégal, le Malawi est cité également comme exemple où l’organisation Soils, Food and Healthy Communities, dirigée par des agriculteurs, a passé 20 ans à fortifier les sols, à partager des connaissances et à améliorer les résultats sanitaires et nutritionnels aux côtés de plus de 15 000 agriculteurs. Les résultats ont montré que lorsqu’une gamme de cultures diverses est cultivée dans le cadre de systèmes agroécologiques, les exploitations peuvent être jusqu’à 80 % plus productives que les exploitations conventionnelles. En outre, « la sécurité alimentaire des ménages, les revenus des agriculteurs et les systèmes de soutien communautaire se sont tous améliorés grâce à ces pratiques agroécologiques ». De fait, analyse Lauren Baker, les deux exemples démontrent que la mesure du succès ne se limite pas à la taille des exploitations et au rendement à l’hectare.
Pour les producteurs du rapport, l’agroécologie, les approches régénératives et les modes d’alimentation indigènes sont des solutions systémiques qui produisent déjà des résultats positifs en matière de santé et de nutrition, un sentiment d’utilité et de dignité, une justice sociale et une action climatique pour des millions de personnes dans le monde.
Le rapport invite les décideurs et les législateurs nationaux et régionaux à identifier et à agir sur les obstacles qui freinent la promotion de l’agroécologie et les approches régénératives. « En Afrique, par exemple, les agriculteurs n’ont souvent pas d’autre choix que d’acheter des semences propriétaires, des engrais, des pesticides et d’autres intrants agricoles à un petit groupe d’entreprises puissantes. Cela empêche les agriculteurs de construire une résilience à long terme – pour leurs moyens de subsistance, leurs terres et leur communauté », renseigne Lauren Baker.
En somme, la publication dudit rapport constitue une étape pour attirer l’attention sur l’agroécologie, les approches régénératives et les systèmes alimentaires indigènes. « Pour changer nos systèmes de recherche dominants, il faut démanteler les barrières structurelles. Il s’agit notamment de la pensée à court terme axée sur les aliments « bon marché », les produits de base destinés à l’exportation et les mesures étroites de la réussite. Au niveau des consommateurs, nous devons également susciter la demande d’aliments cultivés de manière agroécologique et culturellement appropriés, et mettre en place des incitations et des marchés pour soutenir cette demande », a proposé la directrice des programmes de l’Alliance mondiale.
Atha ASSAN