Face à l’ampleur de l’érosion côtière au Togo, les populations adoptent leurs propres solutions pour endiguer le fléau. A Gbogbomé, 25 kilomètres au Sud-est de Lomé (capitale togolaise), l’une des localités les plus touchées par l’érosion, les communautés bâtissent le long du littoral, des épis puits. Reportage !
Situé sur la côte entre Lomé, la capitale togolaise et la frontière béninoise, Gbodjomé est un village touristique qui attirait un grand monde. Ici, la communauté vit traditionnellement de la pêche et de la culture de légumes. Tous les matins, les femmes vont ramasser à la plage des coquillages qui entrent dans la composition de béton où ils remplacent avantageusement les pierrailles. Malheureusement, depuis quelques temps, cette localité se meurt à petit coup. L’océan y dicte sa loi.
14 Mai 2019. Le soleil du midi rayonne sa lumière quand les hurlements des cocotiers enjôlent les bourdonnements assourdissants des vagues. Assise sous une hutte, balayée agréablement par la brise de mer, Muriel est en train de boire quelques verres, histoire d’oublier un tant soit peu le souci permanent. Elle peint une situation assez traumatisante et catastrophique.
« En 15 ans, beaucoup de choses ont disparu. Des familles sont déplacées mais elles vivent toujours dans l’angoisse de reculer», relate Muriel. Une victime que nous avons déjà rencontrée dans le cadre d’un précédent reportage, il y a 4 ans. « Rien n’a changé depuis que vous étiez passés. Au contraire, les choses se sont empirées. Gbodjomé est totalement défiguré. Là-bas, il y avait une immense plage avec des paillotes, des chambres et de l’autre côté, un village de pécheurs. Il y avait des constructions, l’océan a tout englouti», nous raconte-t-elle.
Selon les recoupements, c’est en 2012 que l’océan s’est déchainé à Gbodjomé. Il a détruit de belles constructions à l’instar de la célèbre place « Obama Beach ». Un coin où beaucoup allaient se détendre le temps d’un week end. Ironie du sort, le joyau est englouti par l’eau. Depuis le sinistre, Edoh, son propriétaire a quitté Gbodjomé pour aller vivre ailleurs. Aujourd’hui, il ne peut que se contenter des belles photos de son édifice. Il tente de se reconstruire en vain. Ce dernier a même ouvert autre part sur la côte, un nouvel espace de loisir et restaurant du même nom (obama Beach). Mais il est loin, du moins pour l’heure, de connaitre le succès.
Nous l’avons rencontré dans son nouvel espace, dépourvu de tout engouement. Il relate : « je suis le responsable de « Obama Beach ». Un grand espace de loisir avec les bungalows et podiums. C’était très naturel et original. Il y a beaucoup d’artistes qui venaient tourner des clips là-bas. C’est en 2012, qu’on sentait la menace des eaux. Dans une brève durée, c‘est la faillite totale. Mes investissements, mon énergie, tout est parti à l’eau. Aujourd’hui, je suis dans une grande difficulté. Pour s’occuper même de mes enfants, c’est la croix et la bannière».
Face à ce drame environnemental et à l’inaction des autorités, les populations victimes prennent leurs destins en mains. « Les autorités ne font que des fausses promesses. Laissés à notre triste sort, nous prenons nous même des initiatives pour freiner l’avancée de la mer. Nous avions commencé cela en 2013. Les premiers artifices consistaient à mettre du sable dans les sacs entourés de filets, entreposés le long du littoral. Mais la dynamique des vagues était forte à tel enseigne qu’ils n’ont pu résister. L’océan a mangé nos millions parce que cela nous a coûté des millions. Mais cela ne nous a pas découragés pour autant et donc on a continué. Depuis 2015, nous construisons sur la plage de Gbodjomé, des épis-puits, remplis de bétons et cela empêchent les vagues de ruiner la plage », affirme Muriel, qui contribue énormément financièrement à la construction des épis-puits.

Une alternative qui protège les maisons de l’ouest
En effet, c’est grâce au génie créateur d’un riverain, du nom de Rass Eklou Naté, ingénieur en géotechnique, que les œuvres sont réalisés.
D’une hauteur de 6 à 8 mètres, ces épis fabriqués manuellement, empêchent les vagues de ruiner la plage. Ce sont des puits en bétons qui délimitent une barrière pour que l’eau ne puisse plus avancer. L’océan vient se bloquer contre ces épis-puits qui permettent de garder le sédiment de sable et protègent les maisons qui sont à l’Ouest. « C’est comme des brises lames qui longent la côte et l’océan n’arrive plus. Ça s’est transformé à un piège de sable qui protège nos maisons. Avant, la mer avançait à une vitesse vertigineuse et le trou qui est en train d’être fermé était très béant. C’est une expérience qui marche mais c’est quelque chose de provisoire car il faut de gros moyens pour que cela soit une solution à moyen ou à long terme », explique le superviseur des travaux, Soll X Ray, artiste reggae.
Quand à Muriel d’en rajouter : « on devrait faire encore plus mais nous n’avons pas de gros moyens. Vous voyez, ce que nous avons fait nous aide. Le sable revient se poser au lieu que la mer l’emporte. Je pense que c’est une solution qui est prouvée durablement. Si on pouvait nous aider à continuer cela, nous allons freiner l’avancée de la mer ici. Si on pouvait nous aider, donner un peu de financement pour qu’on puisse avancer dans cet esprit vraiment, cela nous aidera. Je fais un appel au gouvernement, aux bonnes volontés, aux entreprises aux autorités pour qu’on puisse sauver notre littoral. Nous avons travaillé avec nos bras. Il nous suffisait d’avoir quelques engins pour renforcer ces initiatives locales».
Pour financer la construction des épis puits, l’artiste Sol X-Ray (le superviseur des travaux) organise régulièrement des spectacles et concerts dont les bénéfices sont versés aux profits de la construction de ces épis. Il a par ailleurs sorti un album, titré « Sauvons le littoral ».
Outre son geste solidaire, d’autres riverains, des bonnes volontés, des associations, connaissances et amis sensibles au problème mettent également la main à la pâte. Mais jamais, les riverains n’ont eu le soutien de l’autorité dans cette tâche. Or selon eux, il suffisait d’avoir quelques engins et moyens pour renforcer cette alternative locale afin que les populations soient en sérénité.
Quoique manuelle, cette solution novatrice permet de soulager les populations en attendant, une réponse nationale.

Hélène Doubidji