A Lankouvi, banlieue de Lomé, située à 15 kilomètres du centre-ville, une femme généreuse s’investit de corps et d’esprit auprès des bébés abandonnés, enfants de rue, orphelins et démunis.
Une réalité macabre dans une société inégalitaire, frappée par la pauvreté. Au Togo, des êtres innocents sont souvent impuissamment abandonnés sur les dépotoirs, les lits d’hôpitaux, places publiques, dans les ruelles, caniveaux, marchés, … aux premières heures de leur vie. A côté de ceux-ci, certains enfants vivent, grandissent et deviennent adultes dans la rue, sans parents, ni famille, parfois dans des conditions dangereuses. Une situation lugubre qui a poussé Yawavi Vondjogbé, surnommée « Mother Charity », à leur dédier toute sa vie, contre vents et marées.
31 Janvier 2020. Nous sommes à Lankouvi. Dans la chaleur sèche d’un après-midi agréable, les activités quotidiennes vont bon train dans la banlieue sud-ouest de Lomé, la capitale togolaise. Comme tous les vendredis soir, les élèves du CEG se dirigent vers l’établissement scolaire pour jouer au foot. A quelques encablures du collège, une maison s’élevant de ses 2 étages, se distingue par un mur très coloré, embelli de dessins évocateurs. Bienvenue à l’orphelinat Mother Charity ! Un gîte, loin des vacarmes de grandes agglomérations, qui offre une nouvelle vie aux enfants dont l’existence a été malencontreusement bouleversée.
C’est bientôt l’heure du goûter. A la cuisine, quatre dames dégourdies se partagent les tâches alors que les éclats de rires et pleurs de bébés proviennent de l’étage. Devant une pièce au rez-de-chaussée, un groupe d’enfants s’amusent à côté des plus âgés qui discutent. Visiblement, ce ne sont pas des gens désespérés, ni souffrants. Ils rient, ils sont actifs, ils font des espiègleries, ils sont attachés l’un à l’autre. La vie comme elle va au chœur d’un orphelinat offrant le visage d’une immense famille. Eva, la plus âgée, nous explique qu’ils sont habitués à cette vie, car beaucoup d’entre eux se trouvent ici, depuis peu après la naissance.
Chacun a une histoire. Pour la plupart, la maman vivant dans une situation d’extrême pauvreté ou délaissée par son partenaire, s’en débarrasse comme un objet encombrant. Certains sont accusés de sorcellerie, d’autres frappés par des us et coutumes avilissants. Ce sont aussi des martyres de décès en couche ou des enfants issus de familles très pauvres, marqués par de profonds drames sociaux. Parmi eux, il y a également des orphelins, des enfants de prisonniers et ceux dont la mère souffre de troubles psychiatriques. Des faits tragiques que ces frêles âmes doivent avoir la force de transcender. D’autres encore, sont simplement victimes de la méchanceté, la cruauté et la barbarie humaine. Dans tous les cas, l’enfant est abandonné à son triste sort. Personne ne veut s’en occuper.
Florilège des récits
Joceline est au Cours Elémentaire Première année (CE1). La petite fille est une survivante d’une misère pernicieuse. Son histoire est celle d’un enfant, victime des erreurs d’une mère immature, de l’animosité d’un père irresponsable et de la méchanceté d’une véreuse grand-mère. En effet, la maman biologique de Joceline, très jeune a quitté ses parents pour aller vivre avec un homme inconnu. Elle tombe enceinte et donne naissance à Joceline. Toutes les deux sont en bonne santé. Sauf que quelques mois plus tard, la jeune maman sera malheureusement décédée. Le père de Joceline, ne connaissant ni les parents, ni la famille de sa compagne, prend la poudre d’escampette. Pis, avant de partir, il enferme la petite Jocelyne et sa défunte mère dans la chambre, administrant éventuellement un produit à l’enfant, pour l’empêcher de pleurer immédiatement. Les colocataires remarquant leur absence, pensent qu’ils ont voyagé. Mais quelques jours plus tard, ils se rendent compte du drame quand le bébé commence finalement par crier. C’est ainsi qu’ils ont défoncé la porte et découvrent Jocelyne et le corps sans vie de sa mère. De bouche à oreille, les voisins finissent par trouver, la mère de la jeune femme décédée, à qui, ils ont évidemment confié le bébé. Ironie du sort, cette dernière n’a pas su prendre soin de sa petite fille. Elle est allée la laisser dans un couvent vaudou, sous prétexte qu’un bébé enfermé avec un cadavre est « maudit ». Dans ledit couvent, Joceline est séchée chaque matin au soleil au nom des rituels qui viseraient à la purifier. On ne donne ni à manger, ni à boire à la petite fille qui dépérit au jour le jour. Joceline sera sauvée de cette souffrance par un riverain choqué qui alerte l’orphelinat. Rapidement, la directrice s’est elle-même vite dépêchée sur les lieux et prend de force l’enfant qu’elle amène à l’hôpital. Diagnostic ? Le bébé souffre de malnutrition sévère. Elle reçoit des soins intensifs et sortira de l’hôpital guérie. Aujourd’hui, Jocelyne est une belle petite fille qui grandit bien. Elle doit avoir entre 8 et 9 ans.
Victorine et Victoria, quant à elles, sont des jumelles. Nées en Septembre 2009, dans un village, situé à 85 Km de Lomé, leur mère est morte des suites d’un accouchement difficile. Chose curieuse, les deux familles (maternelle et paternelle) informées, sont venues chercher le corps de la défunte, mais ils ont abandonné les jumeaux sur le lit de la maternité. Le centre de santé a alors contacté le service des affaires sociales qui à son tour appelle l’orphelinat à la rescousse. Le temps d’emmener les jumelles du village à l’orphelinat, leurs nombrils se sont infectés. Soignées, les deux fillettes auront bientôt 2 ans.
Germain et Rose, eux sont frère et sœur. Ils ont perdu leur papa quand ils sont encore très jeunes. Leur mère s’occupe bien d’eux jusqu’ au jour où elle décide de faire des prêts dans une institution de micro-finance pour faire tourner son petit commerce. Malheureusement, elle tombe en faillite et se trouve dans l’incapacité de rembourser les dus. Menacée de prison, elle a fui, laissant les deux enfants.
Clarisse, pour sa part, est née d’une mère souffrante de troubles psychiatriques, violée par inconnu. L’enfant a été récupéré aussitôt après que la « folle » ait accouché derrière une église, sans assistance médicale.
Aussi touchantes les unes après les autres, les anecdotes sont loin d’être exhaustives. « Devant de telles situations, que vont-ils devenir, si on ne prend pas soin d’eux? Des mendiants et criminels », affirme la Fondatrice de l’Orphelinat « Mother Charity ». Toute souriante, elle nous raconte l’histoire de cette maison qui compte aujourd’hui 78 enfants âgés de 2 mois à 17 ans, venus de tout le pays. Un nombre susceptible de grimper à tout moment.
Tout commence, il y a 30 ans
Tout a débuté, dans les années 80 quand Yawoavi VODJOGBE, la surnommée « Mother Charity » a décidé de dédier sa vie aux enfants abandonnés. Très croyante, elle est rassurée que « Dieu l’aidera dans cette œuvre». Dans un premier temps, cette dame au cœur bienfaisant, accueillaient les enfants chez elle à domicile avant de prendre la décision de créer un orphelinat pour être dans le formel et sauver plus d’enfants. «Depuis 30 ans, j’ai dédié ma vie aux enfants déshérités. C’est ce que je sais faire de mieux. Quand je vois un enfant sale dans la rue, je lui demande d’où tu viens ? Qui est ta maman ? C’est comme ça que cela a commencé. Je ramenais chez moi à la maison des enfants démunis et au bout de quelques mois, je me suis retrouvée avec des dizaines d’enfants. Dans le quartier, tout le monde m’a surnommée « Maman Charité » d’où le nom Mother Charity.» raconte-t-elle.
Le chemin a été parsemé d’embuches. Surtout au début, il était très difficile de trouver un toit et de quoi nourrir les enfants. « J’étais aidée par les amis et les bonnes volontés mais parfois mes enfants et moi, dormons ventre affamé. Nous avons aussi rencontré d’énormes problèmes de logement. On allait de location en location. Un jour, on nous a mis dehors à 23 heures pour cause des loyers impayés », se souvient Mother Charity.
Loin d’être découragée, ces difficultés ont plutôt permis à la cinquantenaire, de travailler dur pour mieux encadrer « ses enfants ». En 2003, elle crée la fondation «Secours Universel» dont le premier produit est l’orphelinat «Mother Charity».
Pleins de vies, le centre appelle à la vie
Construit grâce aux dons et sur un terrain de l’Etat, gracieusement acquis avec l’aide du Chef canton, l’orphelinat comprend une crèche, deux maternelles, plusieurs dortoirs. C’est l’un des rares orphelinats au Togo qui héberge les nourrissons et même les prématurés. La plupart des enfants y arrivent sans nom. Il faut leur en trouver un. Il faut aussi leur offrir de l’amour, l’affection, l’attention, la protection, l’éducation et autres soins nécessaires.
Ici, l’emploi du temps est immuable. Prières, école, jeux, loisirs, sorties, lecture. Chaque matin à 5 heures, le surveillant adjoint doit être là pour vérifier si les touts petits ont leur sac et tout ce qu’il faut pour aller à l’école. Les grands se débrouillent eux-mêmes. Le week-end, la maison est très ambiancée. Le centre dispose d’une équipe de foot et d’un groupe chorégraphique… En congé, les enfants ont l’occasion d’aller dans les familles d’accueil. Ils sont en effet reçus par les membres d’une église, qui a bien voulu soutenir l’orphelinat de cette façon.
Comme tout le monde, ces enfants ont aussi des rêves. Des rêves qu’ils comptent bien réaliser grâce à l’aide précieuse de leur « maman ». Si Alain compte devenir médecin, Justine veut plus tard être un architecte et Josué un journaliste. Même devenus adultes, le centre continue de s’occuper des enfants en externe, jusqu’à ce qu’ils soient autonomes.
Un travail de titan
L’orphelinat travaille en collaboration avec la direction préfectorale, la gendarmerie, la police d’autant plus que ces structures, sont souvent alertées lorsqu’il y a des cas d’abandon d’enfants. Le centre dispose aussi des bureaux de liaisons et accueille les enfants venus de tous les coins du pays. Un travail qui n’est pas du tout aisé pour une équipe de seulement 26 personnes composée du personnel administratif, des nounous, cuisiniers, agents de sécurité etc… « Ce n’est pas facile. Mais nous avons la chance d’avoir une équipe solidaire. Moi-même je suis là pour surveiller. J’ai mes yeux partout. Je dois m’assurer si les enfants ont mangé, s’ils ont pris la douche, s’ils ont appris, s’ils dorment. Je ne dors pratiquement pas. Je cours de gauche à droite. Je frappe à des portes au besoin. Je veille au grain à leur éducation. Avec l’adolescence, certains deviennent capricieux mais on gère. On n’a jamais eu de cas difficiles. L’esprit de famille existe », se réjouit « Mother Charity ».
Jour après jour, il faut trouver de l’eau et de la nourriture pour 78 bouches soit 400 repas par jour. « A 6 heures, les enfants font le petit déjeuner, à 9 heures le gouter, à midi le déjeuner, à 16 heures le gouter et à 19 heures le dîner », explique Nyamagblo Angele, la responsable cuisine.
Un sacerdoce fou qui paie
Autrefois, grande commerçante de produits cosmétiques au Grand marché de Lomé, « Mother Charity » a dû renoncer à cette activité pour mieux s’occuper des enfants. Accusée par sa famille qui lui reprochaient de ramasser des enfants « d’autrui » pour s’en occuper, elle a essuyé des critiques et rejets. Elle divorcera aussi de son ex époux pour la même cause. Elle raconte : « Au début quand j’emmenais les enfants à la maison, cela créait des discordes entre mon ex-mari et moi. J’ai essayé de le convaincre en vain. Un jour, la grande décision a été prise. Il m’a demandé de choisir entre les enfants et le foyer, et sur un coup de tête j’ai choisi mes enfants. » Mère d’une fille unique, elle quitte ainsi son foyer pour soigner les enfants blessés de vie. Sa fille biologique actuellement à l’Université a d’ailleurs, décidé volontairement de faire l’Ecole Nationale des Affaires Sociales pour prendre la relève plus tard. « J’avais une vision et je me suis accrochée à cela. Aujourd’hui je suis fière d’être maman de plusieurs dizaines d’enfants qui grandissent et évoluent dans la sagesse », affirme l’humanitariste.
Certains de ces enfants sont présentement à l’Université et au lycée. Cette année, une fille passera le baccalauréat et sept enfants le Brevet d’Etude premier Cycle. Le plus âgé de l’orphelinat, a récemment grâce aux soutiens des volontaires internationaux, obtenu une bourse pour Bruxelles où il fait un master en chimie. Certains ont abandonnés les classes mais ils apprennent tous un métier. Par ailleurs, beaucoup vont partir bientôt pour l’adoption, sous l’organisation du gouvernement. « Quand je les vois, je me dis que ma vie n’a pas été inutile », se réjouit Mother Charity.
Une satisfaction partagée par les enfants. « Maman nous aime beaucoup. Si elle n’était pas là, je ne sais pas ce que je serais devenu. Je lui suis très reconnaissante », remercie Eva, 17 ans.
Le travail exceptionnel que fait cette dame est reconnu par plus d’un. Le célèbre groupe musicien Kasav de Guadeloupe, venu récemment à Lomé a choisi l’orphelinat Mother Charity pour faire un don. En 2017, l’artiste français Singuila, à Lomé y était également. Beaucoup de personnalités et volontaires internationaux visitent régulièrement le centre qui ne vit que de dons.
Pour l’heure, l’établissement ne reçoit aucun soutien financier de l’Etat. Toutefois les défis restent à relever entre autres la nécessité de disposer d’une infirmerie, d’une bibliothèque à l’interne, d’une cuisine adéquate, d’assez de dortoirs, d’un terrain de foot…
L’expérience est si positive et les besoins si grands, que « Mother Charity » envisage construire à terme un village pour ces enfants dénommé « Mother Charity Village ». Comme quoi, chacun doit apporter sa pierre pour bâtir un monde meilleur et durable où les inégalités sont bannies.
Hélène Doubidji