La planification familiale, l’utilisation des méthodes contraceptives et la santé de reproduction, sont souvent perçues en Afrique et au Togo comme une affaire exclusivement des femmes et jeunes filles. Ainsi, les sensibilisations sont plus orientées vers ces dernières et l’implication des hommes et garçons est faible. Une manière de procéder qui agit négativement sur le processus dans la mesure où dans presque toutes les cultures, l’homme joue un rôle prédominant dans la prise de décisions. Que faire pour renverser la tendance ? L’Association togolaise pour le bien-être familial (ATBEF) à travers un projet « innovant » agit sur les mentalités des garçons et hommes dans différentes localités du pays dont Kpéyédji (canton de Dagbati, préfecture de Vo), un village minier situé à environ 80 km Nord-Est de Lomé. Nos reporters sont allés dans la zone pour constater les impacts de ce projet qui a permis de mettre en place dans la localité, le « Club des garçons » et « l’Ecole des maris ».
Même dans la cour du chef du village, ça parle de la planification familiale. Il est 15 h 00 au palais royal de Kpéyédji ce jeudi 14 janvier 2021. Nous sommes chez le Chef Koudeha Akossou 1er. 4 femmes se retrouvent dans la cour, sous un manguier et mènent de sérieuses discussions sur la planification familiale et l’utilisation des méthodes contraceptives. Parmi elles, la femme du Chef. La trentaine, qui a déjà quatre enfants, n’en veut plus et conseille à ses amies de planifier leur vie, en limitant et surtout en espaçant les naissances. Si la femme du chef tient ces propos aujourd’hui, son mari en est pour quelque chose. Assis confortablement dans son fauteuil royal, le Chef nous reçoit avec enthousiasme et aborde la question de planification familiale sans complexe.
« L’épanouissement des femmes nous préoccupe beaucoup ici. Maintenant les hommes et les femmes ne font plus assez d’enfants et les femmes sont en bonne santé ainsi que les enfants », a fait savoir le Chef, avant de souligner que la croyance selon laquelle « c’est Dieu qui donne les enfants (Faire autant d’enfants que possible) » n’a plus sa place à Kpéyédji.
Aussi, renseigne-t-il, avec la connaissance et l’utilisation des méthodes contraceptives, toute la société se porte bien. « Un enfant au dos, un autre dans le ventre, c’est difficile pour la femme d’évoluer et de s’épanouir. Maintenant, nous sommes à l’aise ; même les accusations des sorciers ont cessé parce que les gens espacent les naissances et tout va bien dans la famille. Les mortalités maternelles, infantiles et néonatales ont diminué de même que les violences conjugales. Les grossesses non désirées comme précoces en milieu scolaire et extrascolaire ont diminué aussi dans notre localité », a confié le garant des us et coutumes.
Les témoignages du Chef vont être confirmés par des membres de la communauté. Derrière deux baobabs assoiffés sur le sol, se trouve un amas d’habitats. Ici, on vante non seulement les avantages de la limitation des naissances mais beaucoup plus le changement de comportements des hommes dans les foyers. « Il n’y a plus assez de problèmes de foyers, surtout les violences conjugales. Avant, même si tu es malade ou en période de menstruations, il est difficile que ton mari comprenne et accepte de ne pas avoir des rapports sexuels avec toi. Il ne t’assiste pas dans les tâches ménagères. Aujourd’hui, avec ce projet qui est venu dans le village, les mentalités ont évolué », fait savoir Adjo, la vingtaine, mère de 3 ans dont le dernier est en classe de CE2. Ce changement de comportement des hommes, poursuit cette dernière, a eu une énorme influence également sur l’éducation des jeunes garçons dans le village.
Comment en est-on arrivé là ?
Les habitants de ce village bénéficient du « Projet Innovant d’engagement des hommes et des garçons dans la planification familiale et santé de reproduction » de l’ATBEF mis en œuvre dans 4 districts sanitaires (Kloto, Bas-mono, Vo et Zio) et dans 2 grandes villes du pays (Lomé et Kara). L’innovation, souligne Kpakpa Olivier, Chargé de suivi du projet dans la préfecture de Vo et plus précisément à Kpéyédji, est le fait que le projet soit axé sur les hommes et les garçons. La préfecture de Vo, précise-t-il, fait partie des localités du Togo où le taux de natalité est le plus élevé : « Le nombre d’enfants par couple, en moyenne, est au-delà de 5 ».
En quoi consiste réellement le projet ?
Selon Djeri Tchagbele, Sociologue, Chargé d’Exécution du projet à l’ATBEF, l’initiative vise à contribuer à la réduction de la mortalité maternelle et infantile à travers l’engagement des hommes et des garçons pour le développement de nouveaux comportements à leur niveau en faveur de la promotion de la Santé de la Reproduction (SR). Le projet vise, de façon spécifique, poursuit-il, « à accroître durant les 3 ans (2017-1019), dans les zones d’intervention, l’engagement des hommes et garçons ; accroître de 30% l’utilisation des services de SR/PF dans les zones d’intervention du projet et renforcer la redevabilité du projet vis-à-vis de toutes les parties prenantes ».
A cet effet, le projet a mis en place le « Club des garçons » et « l’Ecole des maris » constitués respectivement de jeunes garçons et des hommes mariés. Ces deux groupes sont formés sur les questions de la santé de la reproduction et planification familiale. Les membres sont des ambassadeurs sur le sujet auprès de leurs pairs et de toute la communauté. Leurs activités impactent positivement la société et ils sont très sollicités.
Ce projet innovant d’engagement des hommes dans la SR/PF met en synergie un volet d’interventions techniques avec l’ATBEF à la commande et un volet de recherche confié à l’Unité de Recherche Démographique (URD) de l’Université de Lomé.
Témoignage des membres de « l’école des maris » et du « Club des garçons »
Les deux groupes sont considérés comme des ambassadeurs de la SR/PF dans la localité. La composition des équipes a été inclusive, nous apprend M. Yaovi Michel Damagna, Vice-président de l’Ecole des maris de Kpéyédji. La sélection a été faite au niveau de la religion (traditionnelle comme moderne), Chefferie et Comité de Développement du Village (CVD). Faut-il le souligner, les personnes sélectionnées sont toutes des modèles dans la communauté. Chose qui rassure plus la population. A part cela, ils ont reçu une formation qui a changé leurs manières d’apprécier les sujets de la SR/PF ainsi que les violences basées sur le genre.
« On vivait dans une parfaite ignorance : des divorces spontanés étaient légions, les droits des femmes étaient bafoués, les maris étaient autoritaires j’allais dire des dictateurs au foyer… Le projet a changé beaucoup de choses dans nos vies et après celles des populations du milieu en général », a fait savoir le président de l’Ecole des maris. Notre mission, poursuit-il, ne s’arrête pas seulement dans les maisons : « Certains leaders religieux nous invitent également pour des sensibilisations dans leur église. Dès fois ce sont des pasteurs mêmes qui nous sollicitent face à des problèmes de planification familiale qui opposent des individus dans le couple. D’autres personnes viennent vers nous avec des problèmes de foyers et ensemble on trouve des solutions et ils se retournent souvent en paix », a-t-il renseigné.
Par ailleurs, Yaovi Michel Damagna affirme que bon nombre dans le village avant n’en savaient rien par rapport à l’importance de la planification familiale. « Quand quelqu’un (un homme) se mariait et faisait peu d’enfants, on se moquait de lui et on l’incitait à en faire davantage. Avec l’arrivée du projet, il y a eu un changement de comportements. Des personnes qui étaient radicalement opposées à la planification familiale et surtout à l’utilisation des méthodes contraceptives ont compris son importance », a-t-il confié avant d’ajouter qu’à part leur zone d’intervention, Kpéyédji, ils sont également sollicités dans 14 localités environnantes pour des séances de sensibilisation.
Évolution de l’utilisation des méthodes contraceptives dans la préfecture de VO (Source : ATBEF)
Années |
Types de méthodes contraceptives |
Nouvelles utilisatrices |
Anciennes utilisatrices |
Totaux |
2015 |
Microgynon | 614 | 6494 | 7108 |
Depo provera
(injectable) |
1265 | 9204 | 10469 | |
2016 |
Microgynon | 663 | 8229 | 8892 |
Depo provera (injectable) | 1399 | 10676 | 12075 | |
2017 |
Microgynon | 774 | 8823 | 9567 |
Depo provera (injectable) | 1551 | 12748 | 14299 | |
2018 |
Microgynon |
778 | 11442 | 12220 |
Depo provera (injectable) | 1500 | 14995 | 16495 |
Evolution de l’utilisation des préservatifs masculin et féminin dans la préfecture de Vo
Années | Condom | Femidom |
2015 | 67977 | 205 |
2016 | 77769 | 435 |
2017 | 81923 | 453 |
2018 | 78592 | 710 |
Ce que fait le Club des garçons
Les membres du Club interviennent auprès des jeunes. Ils parlent des conséquences des grossesses précoces et non désirées, ce qu’il faut faire pour les éviter ; ils sensibilisent sur les violences basées sur le genre et jouent aux sentinelles contre les mariages forcés.
« Les grossesses non désirées et précoces ont diminué maintenant dans le village et également les mariages forcés des adolescentes », a fait savoir Mathias Datonou, membre du Club des garçons.
Ce dernier renseigne également que le club intervient lorsqu’il y a un projet de mariage forcé dans la localité, pour l’empêcher, afin que la fille puisse retourner à l’école.
Sénégalais, Centrafricains et Sud Soudanais sont venus s’en inspirer
Le Togo, la Serbie et l’Inde sont les trois pays qui expérimentent sur le plan mondial ces projets innovants qui s’inscrivent dans le cadre du plan stratégique 2016-2022 de la Fédération Internationale pour la Planification Familiale (IPPF). « Les Sud soudanais font partie de la Fédération (IPPF). Ils veulent également faire un projet similaire. Pour pouvoir mener à bien ce projet, l’IPPF leur à demander de venir s’inspirer de l’expérience du Togo parce que les rapports envoyés à la Fédération prouvent la bonne marche du projet dans notre pays », a confié Djeri Tchagbele, Chargé d’Exécution du projet à l’ATBEF.
Selon le chargé d’exécution du projet, à leur arrivée, les Sud soudanais sont très impressionnés par les prouesses du Projet. Ils ont assisté à des séances de sensibilisation des Clubs et Écoles. Le Chef de mission a proposé poser quelques questions au public présent. Il était surpris par les réactions et réponses des femmes en présence des hommes en public.
A part les Sud Soudanais, il y a eu des Centrafricains et des Sénégalais qui sont venus s’inspirer du Togo. La délégation sénégalaise est composée d’une équipe tripartite notamment l’UNFPA Sénégal, le ministère du genre du Sénégal et l’Association sénégalaise pour le bien-être familial (ASPEF).
Un bilan positif pour le Projet
« En l’espace de trois ans, les ‘’écoles de maris’’ ont permis de doubler l’effectif des accepteurs ou des utilisatrices de méthodes de planification familiale et les violences notées sont de plus en plus rares », a renseigné Dr Selom Noussoupkoe, Chargé des programmes à l’ATBEF. Le recours à cette stratégie a été jugé satisfaisant par les communautés. L’intervention a eu un effet positif sur les connaissances des méthodes aussi bien masculines que féminines. Par exemple, en ce qui concerne les méthodes masculines, le niveau de connaissance sur la « vasectomie » est passé de 29 % en 2016 à 39 % en 2019. Pour ce qui concerne les méthodes féminines, le niveau de connaissance sur la « pilule » est passé de 66% en 2016 à 82% en 2019.
En effet, le premier objectif du projet, c’est d’amener les hommes et les garçons à un changement de comportement, un engagement. Avec l’innovation, et surtout la formation des Club de garçons et Ecole de maris, l’environnement devient favorable et les hommes ne constituent plus un obstacle pour la PF.
La vasectomie, une autre grande réussite du Projet
Avant le démarrage du projet, la question de la vasectomie a été une inquiétude au niveau de l’ATBEF puisque le projet concerne des milieux ruraux où la tradition, les mœurs et les coutumes sont plus enracinés. « Chemin faisant on s’est rendu compte qu’à force de bien expliquer, la population comprend. Cela n’a même pas fait un an quand nous avons eu des demandes venant de ces mêmes populations. Des gens qui sont venus des villages pour se présenter à la clinique de l’ATBEF pour faire la vasectomie. Au départ, certains pensaient que quand on parle de la vasectomie, c’est la castration mais après les formations et les sensibilisations ils ont compris la différence. Ce qui a amené beaucoup à opter pour la méthode. Un membre de l’Ecole des maris après la formation a adopté la méthode et c’est lui qui se présente dans les émissions radiophoniques pour rassurer la population », expose M Djeri.
Si ce projet devait être reconduit, des recommandations demeurent
La première difficulté, c’est le problème de motivation des membres des clubs. Ce sont des bénévoles et si on mettait un minimum de motivation à leur disposition, les résultats devraient être bien meilleurs. Aussi sont-ils sollicités dans des milieux reculés et cela engage des frais ou un moyen de déplacement, révèle le chargé du projet.
Financé par l’IPPF, le projet Innovant de l’ATBEF crée de la demande pour la Distribution à base communautaire (DBC) des méthodes contraceptives, un autre projet financé par l’USAID au Togo depuis 2012.
7 raisons fondamentales pour lesquelles faut-il impliquer les hommes et garçons dans la SR/PF
- Cultiver en eux la mentalité, l’attitude positive sur les questions de la santé de reproduction
- Limiter les questions de violences, liées à la santé de la reproduction dans les communautés
- Combattre les grossesses non désirées et surtout précoces en milieu scolaire et extrascolaire
- Limiter les mortalités maternelles et néonatales
- Promouvoir la masculinité positive
- Prôner la paix dans les communautés
- Lutter contre les violences basées sur le genre
Atha ASSAN