Repost- [Interview] Ils sont nombreux ces jeunes qui aspirent à devenir des professionnels de médias ou qui y sont rentrés par ‘effraction’’ dans le métier du journalisme. Dans une interview accordée à Togotopnews, Dr Amévi Dabla, Consultant en stratégie communication et média, ancien directeur de Radio Lomé, et un des doyens de la corporation au Togo, éclaire sur les règles qui régissent le domaine, les réalités de la pratique de ce métier noble et les normes exigées pour se donner le nom de journaliste.
Le journaliste doit assumer la responsabilité de ce qu’il écrit : pourquoi ?
Il y a 27 ans, au Rwanda, c’est un journaliste qui avait fait déclencher le génocide, c’est à travers les écrits, ce qu’il avait fait propager à l’antenne que les gens se sont soulevés et il y a eu le génocide. Donc on porte sur nos épaules de lourdes responsabilités que nous devons assumer. Il faut savoir que ce que vous dites, vous laissez passer comme message peut entraîner des erreurs au sein de la population. Vous pouvez être des conseillers au sein de la population, c’est pourquoi il arrive parfois qu’on se rende compte que quand il y a des évènements qui se passent autour de nous, les gens peuvent commencer par dire, c’est tel journaliste qui l’a dit c’est-à-dire qu’il a la compétence de nous conduire sur la bonne voie.
Éthique et déontologie dans le journalisme, en quoi cela se résume concrètement ?
Ça se résume en deux mots : quels sont vos droits, quels sont vos devoirs ? L’éthique, c’est le moral et la déontologie ce sont les règlements. Donc, il faut savoir quels sont les devoirs du journaliste et leurs droits, ce que la profession les permet d’acquérir.
Le code de la presse, pourquoi est-il important pour un journaliste de se l’approprier ?
Il faut se l’approprier parce que là, ce sont les conditions dans lesquelles vous travaillez qu’on vous rappelle. Ce que vous pouvez faire, ce que vous ne pouvez pas faire. Ce sont des dispositions qu’on prend et cela évolue. Depuis 1998, nous en sommes à la 4ème édition. On cherche à améliorer, il y a de nouvelles conditions qu’on arrive à retrouver dans la profession, on essaie de les insérer pour que les journalistes sachent que malgré leurs compétences, il y a toujours une manière de nous permettre de travailler et d’avancer dans le bon sens pour que la profession puisse prospérer.
Traiter une information en toute objectivité et impartialité : croyez-vous que c’est encore possible aujourd’hui ?
Traiter une information en toute objectivité, c’est possible. Il y a des questions auxquelles on répond, il faut répondre à ces questions et puis normalement vous avez tout fait et vous n’allez pas chercher ailleurs. Qui a fait quoi, où, comment et pourquoi ? Si vous répondez à ces questions-là, cela veut dire que vous avez fait en toute objectivité votre travail.
A quoi fait-on allusion quand on parle de clause de conscience en journalisme ?
Cela veut dire que si vous êtes dans une rédaction et que vous avez votre point de vue personnel sur une situation donnée, on ne va pas vous forcer la main à faire ce que vous ne voulez pas. Votre rédacteur en chef, votre directeur de publication ne va pas vous forcer la main. Si vous êtes dans une ligne éditoriale donnée et subitement on la change, si cela ne vous plait pas, au nom de la clause de conscience, vous remettez le tablier et vous partez.
Où peut-on convoquer un journaliste quand il fait une publication qui révolte un citoyen ?
Normalement, il y a le tribunal des pairs qui est le tribunal d’autorégulation. Au Togo, c’est l’Observatoire togolais des médias (l’OTM) qui essaie d’écouter le journaliste qui va dire pourquoi il a écrit cela. Quand c’est plus grave, la HAAC (Haute Autorité de l’audiovisuel et de la communication) peut prendre le dossier et inviter le journaliste et l’écouter et si cela dépasse la HAAC, on va au tribunal. Normalement, il faut aller de palier en palier en passant par l’OTM qui est le tribunal des pairs, au pire des cas c’est à la HAAC qui va essayer de trancher. Donc tout le monde doit respecter ces institutions qui sont créées et ne pas refuser de répondre à leur invitation.
La carte de presse : quel est son rôle ?
Une carte de presse permet d’avoir une sécurité pour le journaliste. Il n’est pas permis à tout le monde d’acquérir la carte de presse parce qu’il faut un certain nombre de documents qu’il faut fournir, qu’on essaye d’analyser pour voir si vous écriviez dans un journal ; vous avez fait telle formation, obtenu tel diplôme et vous relevez de la corporation depuis telle période. Ce sont là des garde-fous qui vous permettent d’intégrer la profession et au cas où il y a des dérapages à votre niveau, vous prenez l’engagement de remettre votre carte de presse.
Quelles sont les dispositions qui protègent le journaliste au Togo ?
Il y a le code de déontologie qui a été adopté le 5 novembre 1999 ; même par avant il y a le code de la presse et de la communication depuis 1990 qui a évolué pour en être à sa quatrième édition en janvier 2021.
La transformation des organes de presse en société de presse, pensez-vous que c’est une bonne chose ?
L’idéal c’est que les journalistes puissent vivre également comme des entreprises parce que ce sont des hommes qui recrutent d’autres hommes pour travailler avec eux. Mais le malheur est qu’il y a certains patrons de presse qui ne payent pas les journalistes. Les journalistes se trouvent obligés d’aller sur le terrain et revenir avec quelques miettes qui seront partagées avec le premier responsable. Et peut-être, c’est la seule opportunité que vous avez eu en semaine et cela ne vous permet pas d’évoluer normalement. Quand on est en entreprise, on sait qu’il y a des dispositions qui sont prises et qu’on doit respecter de façon collective. Plusieurs organes de presse peuvent se regrouper en une entreprise de presse. C’est l’idéal et il faut essayer de voir comment y parvenir pour qu’on puisse s’en sortir comme on le voudrait.
On ne vient pas dans le journalisme pour s’enrichir ?
Rares sont ceux qui sont très riches dans ce métier. Cela ne veut pas dire qu’on ne peut pas en devenir. On peut s’enrichir un jour si on trouve l’opportunité. Mais ce n’est pas évident que l’on soit vraiment riche et gagné beaucoup d’argent en même temps. Regardez si vous avez une publication en ligne ou en écrit, combien vous pouvez la vendre pour s’enrichir ; si vous êtes à la radio, combien de communiqués vous pouvez vendre ou accueillir. Donc, il y a pleines de situation qui ne sont pas favorables sauf que des structures, de par vos compétences, vous associent à des événements où vous pouvez facilement vous faire des sous. C’est là que vous pouvez dire que j’ai essayé et j’ai gagné. La passion doit dominer.
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Est-ce que les réseaux sociaux constituent un danger pour le monde de la presse ?
Parfois cela aide le secteur. En temps de guerre tout le monde est journaliste, en temps de paix, rares sont les vrais journalistes. Quand il y a problème quelque part aujourd’hui, tu vas voir que tout le monde sort son téléphone portable pour pouvoir recueillir des informations et partager sur les réseaux sociaux. Mais réellement, il faut que ce soit des professionnels qui savent des questions qu’il faut poser pour mieux faire comprendre et partager les informations. Aujourd’hui avec les réseaux sociaux, on constate et c’est dommage que tout le monde est devenu journaliste.
Quels conseils avez-vous à donner aux jeunes qui ont pris d’assaut aujourd’hui le métier ou qui aspirent à rentrer dedans ?
Je parle souvent de certains qui sont rentrés dans le métier par effraction, c’est-à-dire qui ont brisé les murs et sont arrivés ; peut-être au collège ils savent écrire et ils n’ont pas eu malheureusement la chance de continuer à se perfectionner pour pouvoir intégrer réellement la profession ; soit ils ont dévié pour aller faire autre chose maintenant ils veulent revenir mais ils n’ont pas le b-à-bas nécessaire pour pouvoir s’intégrer. Donc on doit les conseiller. Si vous voulez réellement devenir journaliste, essayez de prendre le bon chemin qu’il faut. Si vous pouvez intégrer les centres de formation, allez-y ! Sortez avec un diplôme qui vous permet d’intégrer un secteur. Il peut arriver qu’on cherche à des postes de responsabilités des gens qui ont la compétence et que vous en soyez privé parce que vous n’avez pas pu faire la formation nécessaire , donc ne baissez pas les bras, continuer à étudier pour que quand on vous fait appel, vous puissiez faire valoir ce que vous avez appris.
Interview réalisée par Atha ASSAN