Au Togo, le terrorisme fait des déplacés internes notamment au Nord du pays. Plusieurs personnes vivant dans les localités, victimes d’attaques terroristes meurtrières quittent leur milieu pour d’autres, afin de préserver leur vie. Immersion à Pognon, village situé dans la préfecture de Kpendjal (à 65 Km de Dapaong) qui fait partie des localités qui accueillent des déplacés.
Binangue vit désormais à Pognon avec toute sa famille. Il explique la raison pour laquelle, il a fui son village natal, Sankol. « Depuis quelques temps, des gens dangereux ont pénétré notre village. Ils tuent des habitants et créent la terreur. Ils étaient d’abord venus chez nous à Sankol où ils ont égorgé cinq (5) personnes. Après, ils sont allés à Blamonga, ensuite à Kpenboli où ils ont tué aussi beaucoup de gens. Face à cette situation, nous avons décidé de venir vivre à Pognon parce que, c’est le village natal de mes parents. En quittant Sankol, j’ai pris quelques bêtes que j’ai vendues pour nourrir les enfants », relate avec désolation ce père de famille.
Dévastée, Tchadan, une autre déplacée témoigne et raconte également l’horreur qu’elle a vécu: « Je viens de Kpenboli, c’était une nuit comme toutes les autres. Je me suis couchée avec mes enfants et tard dans la nuit, des gens sont venus frapper à la porte. Quand j’ai ouvert la porte, j’ai aperçu quelques personnes qui ont subitement avancé vers l’intérieur. Pendant que je leur posais des questions, je vois d’autres personnes entrées dans la chambre. Ils ont réveillé mon fils et je leur faisais savoir que c’était mon unique garçon et que s’ils veulent lui faire du mal, ce serait mieux qu’ils s’en prennent à moi mais c’était déjà trop tard. Ils ont tiré sur mon fils et il est mort. J’ai crié fort ; ma coépouse et son fils se sont réveillés. Ils ont tiré aussi sur son fils. Parmi nos voisins qui étaient venus à notre rescousse, ils ont tué 3 personnes également. »
Face à ces drames, Binangue et Tchadan n’ont d’autres choix que de partir, tout comme bon nombre d’habitants des localités victimes du terrorisme.
Depuis fin 2021, le Nord Togo est touché par des attaques terroristes. Des groupes armés font des incursions et attaques dans cette partie du pays. En effet, dans la nuit du 9 au 10 novembre 2021, l’attaque par des terroristes d’un poste-frontière à Sanlouaga dans le Kpendjal est repoussée par l’armée togolaise. Dans la nuit du 10 mai 2022, une autre attaque terroriste fait 8 morts et 13 blessés parmi les militaires et une quinzaine d’assaillants sont tués selon l’armée. Mi-juin 2022, il y a eu une embuscade de l’armée contre des terroristes en dehors du poste de Goulingoushi. La liste n’est pas exhaustive. Depuis quelques temps, le gouvernement togolais ne communiquent plus sur les attaques, ni sur les bilans mais rassure qu’il agit pour éviter que les assaillants s’installent sur le territoire togolais. En effet, Lomé a déployé l’opération antiterroriste baptisée, Koundjoaré, du nom de la ville dans laquelle le cordon de sécurité a été installé. Mais, de leur côté, les groupes terroristes continuent de dicter la loi.
Attaques, menaces verbales et physiques, les témoignages font parfois froid au dos. Il y a quelques mois, les terroristes, selon des témoins, ont circulé dans certains villages, demandant aux habitants de quitter, dans un délai de trois jours. Devant cet avertissement, c’était la débandade.
Un déplacement massif des populations aux conséquences désastreuses
MINTOAMA komina, le Maire de Kpendjal Ouest2 explique que c’est aux lendemains des attaques sanglants, survenues dans la nuit du 14 au15 juillet 2022 dans le village de Kpenboli ,situé au nord-Est du chef lieux de la commune, qu’il a été constaté un déplacement massif des populations vers les zones plus sécurisées comme Malgbongou ,Djibontoti ,Pognon ,Papri…
Selon le maire, avec ce déplacement massif des populations, les situations humanitaires sont devenues plus complexes car les déplacés et les familles d’accueil ont tous besoin d’assistance alimentaire. « C’est devenu un poids sur les ménages par ce que les familles qui accueillent ces déplacés ne trouvaient elles-mêmes pas suffisamment à manger. Avec l’arrivée des déplacés, cela constitue un fléau au sein de ces ménages. Dans leur déplacement les populations ont vendu leur bétail et se retrouvent sans aucune activité génératrice de revenus», détaille M. MINTOAMA komina.
Des propos confirmés par Tilate, un habitant de Pognon qui fait partie de ceux qui ont eu la magnanimité d’accueillir des déplacés. Le père de famille dit avoir hébergé sept (7) personnes chez lui, depuis le début de la crise et pour survivre, c’est la croix et la bannière. Il raconte : « avant, pour nourrir ma petite famille, j’achetais un sac de mil pour 3 mois mais avec leur arrivée, 1 sac fait 1 mois. La nuit, on se bouscule pour dormir parce qu’il n’y a pas assez de places. Quand les enfants tombent malades, c’est un véritable calvaire ».
Le déplacement de personnes au Nord du pays, dû à la crise sécuritaire, constitue désormais un défi pressant. Ce phénomène bouleverse des vies, met en péril des communautés, générant de graves problèmes humanitaires, sociaux et économiques.
Les déplacés internes en effet, arrachés à leur environnement familier, sont privés du soutien de leur réseau social. Il arrive souvent que des familles soient séparées car certains membres sont tués ou disparu dans leur fuite. Privés de leurs revenus et effets personnels, ils n’arrivent pas à subvenir à leurs besoins fondamentaux et à accéder aux services essentiels. Ils ont un accès limité aux soins de santé, à l’eau, à l’assainissement, à la nourriture et à un logement convenable etc.
Au fur et à mesure que les jours passent, l’incertitude quant à l’avenir et à la possibilité de rentrer chez eux, ou de trouver une autre solution durable, vient aggraver leur situation. Les tensions avec les familles et la communauté d’accueil, exacerbées par les ressources limitées et des services au bord de la rupture, engendre parfois une stigmatisation. Si certains parmi eux ont la chance de trouver des familles d’accueil, d’autres par contre n’en trouve pas et sont parfois sans domicile fixe.
Les départs subis et forcés de nombreux agriculteurs ont aussi des conséquences sur les prix des matières premières denrées alimentaires qui ont augmenté notamment au Nord du pays. De même la famine menace davantage les populations qui trouvent difficilement à manger à leur faim. À cela, s’ajoutent les traumatismes psychologiques et physiques liés aux déplacements, de même que l’isolement et la déscolarisation des enfants.
L’avenir en péril des enfants déscolarisés
La déscolarisation des enfants est l’un des grands fléaux qu’engendre le déplacement des populations. « Depuis que nous avons quitté notre village, je ne vais plus à l’école. Mes parents disent que quand ils auront l’argent, ils vont me mettre en apprentissage », affirme toute triste à Pognon, Roukia, une jeune fille de 10 ans déscolarisée.
A l’instar de cette jeune fille, de nombreux enfants déplacés se retrouvent aujourd’hui non seulement dans des conditions très difficiles mais aussi ils ont abandonné les bancs contre leur gré. On peut les voir errer dans les rues ou accompagner leurs parents pour chercher de quoi manger.
Devant une telle situation, si rien n’est fait, ces enfants risquent de plonger dans la délinquance et c’est leur avenir qui est en péril. Pour les jeunes filles, la situation semble plus compliquée car dans ce contexte, elles sont plus exposées aux mariages forcés, aux grossesses précoces et la prostitution avec leurs lots de conséquences.
De l’assistance du gouvernement togolais aux déplacés
Le gouvernement togolais a informé avoir apporté, une assistance aux déplacés et populations victimes des attaques des groupes armés terroristes dans la région des Savanes. Au total, 789 ménages, représentant 4 175 personnes déplacées ont été recensés par les services compétents, a annoncé le 27 octobre 2022, le Ministre de la sécurité et de la protection civile, Yark DAMEHAME, lors du conseil des ministres.
Selon les informations officielles, «une action d’urgence, consistant à sécuriser ces déplacés (internes et externes) a été menée, avant la mise en œuvre de mesures d’accompagnement par plusieurs agences gouvernementales. Les informations ont fait état de ce que des appuis en vivres et en non-vivres ont été apportés dans un premier temps à 682 ménages et une seconde phase de soutien a également été déployée à l’endroit de 237 ménages. En outre, selon le gouvernement, une prise en charge psychologique a été effectuée par des équipes techniques composées de psychologues et d’agents sociaux, déployées sur le terrain.
Le gouvernement a aussi affirmé qu’à l’entame de l’année scolaire 2022-2023, des dispositions devraient être prises pour scolariser les élèves déplacés dans les écoles des préfectures d’accueil. D’après les sources officielles, des travaux de construction de classes sont en cours, pour renforcer les infrastructures scolaires et spécifiquement, neuf enfants orphelins (5 filles et 4 garçons) ont été inscrits dans des établissements d’excellence, conformément aux instructions du chef de l’État.
Par ailleurs, certaines structures et organisations apportent aussi de temps à autres des soutiens en vivres et non-vivres à ces déplacés comme la Croix Rouge et l’Association togolaise pour le bien-être familial (ATBEF).
Toutefois, les déplacés demandent une meilleure prise en compte de leur situation.
Il faut prendre « à cœur notre situation »
Que ce soit sur le plan matériel, alimentaire, sanitaire, financier ou psychologique…la situation de ces déplacés mérite une attention particulière. « C’est inadmissible ce qui se passe actuellement dans le Nord du pays. Des gens qui vivaient paisiblement dans leur village et qui faisaient tranquillement leurs activités, se retrouvent du jour au lendemain dans une précarité qui ne dit pas son nom. C’est assez écœurant. Les bonnes volonté, tout citoyen togolais, les hommes politiques, la société civile, l’État, il faut que tout le monde joue sa partition et qu’on vienne en aide à ces populations », lance Seydou, un natif de Kpendjal
Plusieurs déplacés interrogés implorent les aides et soutiens conséquents de la part du gouvernement. « Il faut que l’État nous aide. (…) Nous supplions les autorités à prendre à cœur notre situation », implore Abou. Quant à Kolani d’ajouter : « Nous attendons encore plus de l’État car nous vivons dans une situation très critique».
Au demeurant, le plus grand défi qui incombe les états aujourd’hui est de trouver des réponses idoines pour venir à bout du terrorisme afin que les populations vivent en paix et en sécurité chez eux et qu’elles ne soient pas contraints de fuir leurs localités ou pays pour se retrouver dans des conditions ignobles.
NB: Cet article est publié avec l’appui technique et financier de la Fondation Friedrich Ebert (FES-Bénin), dans le cadre du projet: « ENQUETES SUR LA MENACE TERRORISTE EN AFRIQUE DE L’OUEST : BENIN, BURKINA FASO ET TOGO », mis en œuvre par le consortium Banouto (Bénin) et Togo Top News (Togo).